Il était une fois…la première fois
Tel le lapin blanc d’Alice, je suis en retard, et je vais mettre tous le monde en retard. Dommage, moi qui me voyais plutôt en Alice qu’en gros lapin blanc. Juste le temps d’exterminer les derniers poils récalcitrants sous la douche. Je suis à peine séchée, pas encore habillée et déjà Sophie frappe à la porte pour venir s’occuper de moi. On ne fait pas attendre une artiste, mais j’ai besoin d’un peu d’intimité pour m’habiller. J’ose à peine entrouvrir la porte, de peur des réactions. J’ai vraiment peur d’en avoir trop fait côté fringues, et je sens que j’ai besoin de l’aval de mes pairs pour pouvoir aller plus loin. (j’ai bien dit pairs David, pas « paires »…).
Personne ne se roule par terre en s’esclaffant, c’est déjà bon signe.
J’ai droit à ma première séance d’esthéticienne à domicile.
Quitte à ce qu’on s’occupe de moi, un petit massage ne serait pas de trop…des volontaires ^-^’ ?
Faut pas pousser non plus !
Tout le monde met la pression sur cette pauvre Sophie, histoire de la faire flipper un max. Les mecs, je vous jure…
Je me découvre enfin dans le miroir, c’est vrai que ça change !
Première sortie. A la bourre, pas le temps de réfléchir. On fonce tout droit jusqu’à la voiture. C’est mieux comme ça. Violène me conseille de ne pas regarder les gens. Je suis ses consignes à la lettre comme les 10 commandements. De toute façon, je suis tellement chargée que j’ai mis mes lunettes pour gagner de la place, et avec la double correction des lentilles, je ne vois pas grand-chose.
Je suis enfin dans la voiture, et toujours vivante. Mince, ce que mes fringues sont confortables, même avec ma ceinture serre taille serrée à fond. Ma « ceinture lombaire » comme l’appelle David.
Une heure et quelques facéties du GPS plus tard, nous voici enfin dans Paris, et l’on finit par trouver un garage couvert.
Il est désormais trop tard pour se dégonfler, mes affaires de rechange sont dans le coffre, inaccessibles. Il faut maintenant sortir. Jamais le terme coming out n’aura eu autant de sens pour moi, pourtant, pas d’appréhension. Violène me fait les dernières recommandations d’usage sur la façon de se baisser avec une robe qui ne laisse pas grand-chose à l’imagination. Je la tire un peu vers le bas, plus par coquetterie que par réelle inquiétude.
C’est l’instant de vérité, le pavé sera mon seul juge. Encore quelques mètres et je serai à la lumière. Quelques regards biaiseux mais rien de bien méchant. Je me sens étonnamment à l’aise, et hyper confortable dans mes fringues. Je me pose la question, serais-je plus gothique que trans ? Peu importe.
Le restaurant
On se trouve un restaurant tout près du point de ralliement, Michèle nous y rejoindra quelques minutes plus tard.
Quelques silhouettes au dehors nous font comprendre que nous sommes au bon endroit et que quelque chose se prépare. FtM ? MtF ?, ah non, juste des bios cette fois. Pas toujours évident. On s’en fout après tout.
Bon, ce sera frittes seules pour moi. Le serveur n’insiste pas, c’est déjà assez compliqué comme ça…Il nous demande juste si l’on va à une manif.
Fin du repas. Et là, la fameuse question. Quid du pipi room ? Chez les filles ou les garçons ? Jean Baptiste me fait comprendre que la question ne se pose même pas, et il a raison, mais devant la file d’attente côté dames, je finis par passer à l’ennemi.
Avec ce que je porte, l’aventure pipi room relève quasiment du striptease intégral.
Dans le même « genre » me laver les mains avec les manches pendantes de ma robe gothique relève de l’épreuve de Fort Boyard « sors !sors !, y’a plus l’temps ! ». Il faut faire une main après l’autre, en tenant la manche au dessus du lavabo afin de na pas la mouiller. Conclusion : Au moyen âge, on ne devait pas se laver les mains, ou alors on avait des gens pour vous tenir les manches. Oui, je vois que ça.
La marche
Nous rejoignons la foule qui a déjà commencé à se rassembler.
C’est le moment de me présenter à Marine et Jessica, qui ne me connaissent que par ma voix, elles qui ont eu plusieurs fois l’occasion de recueillir mes angoisses au téléphone. Je me présente donc comme ‘ l’emmerdeur de Lyon, celui qui vous bouffe tous vos soirs de permanences téléphoniques et vous empêche par la même de regarder House tranquillement’Je fais le tour, prends quelques photos, juste le temps de flasher sur un ou deux visages.
De toute évidence, Hélène n’est pas là.
Je reconnais quelques visages aperçus sur les forums et les blogs persos. Je me manifeste timidement, mais je connais les gens plus que eux ne me connaissent. D’ailleurs, la photo de mon chat en avatar sur les forums n’est pas faite pour aider, la parenté étant plus que discutable…
J’attends avec une certaine délectation mon baptême d’insulte transphobe. J’ai bien entendu un timide « sale PD », mais ça ne compte pas, c’était vraiment trop général, pas dirigé contre moi en particulier.
Non, ça viendra plus tard, au moment où je me suis retrouvée isolée du groupe.
En groupe, on ne risque rien. Isolée, on devient une proie. J’entends quelqu’un m’interpeller derrière moi « hé, Jacouille !».
Gloups ! J’aurai préféré un bon vieux « sale PD » des familles. Là pour le coup, Il y a une connotation vraiment péjorative. C’est mon passing et mes goûts vestimentaires qui en prennent un coup. Un « Morticia » m’aurait au contraire flattée, mais j’imagine que ce n’était pas le but recherché…
Compte rendu rapide de la réunion. J’ai pas tout compris, la portée limitée du porte voix et mes boulles Quies ont fait le reste.
Je zappe sur la brasserie dans laquelle j’ai fini par m’endormir. Entre deux piqué de nez, je ne peux m’empêcher de dévisager na Nhiboue qui avait fait sa FFS quelques semaines auparavant.
Le restau 2
Après une ‘petite’ marche pour aller chercher des affaires dans la voiture, nous prenons congé de Michèle qui doit rentrer sur Lyon.
Une dernière bouffe au restaurant s’impose.
Encore des frittes. Le serveur n’a pas l’air dans son assiette, ni dans la notre d’ailleurs, ce qui nous sera confirmé par la suite.
Jean Baptiste insiste pour m’initier au vrai sens de la vie : la bière ! Pourquoi pas, après tout, on est plus à ça près !
Et là je découvre le secret des dieux : on ne bois pas pour le goût mais pour l’ivresse.
A défaut du goût, va pour l’ivresse donc, sauf que l’acidité de mon jus de citron pressé semble me faire plus d’effet que les quelques bulles de la bière blonde.
Je me réajuste un peu, et j’entends quelques gloussements en provenance de la table voisine, auxquels je ne prête pas attention.
Fin du repas, l’addition. Ah là là, l’addition. Le serveur est décidément dans le pâté, et semble avoir des difficultés à calculer la part de chacun . J’avais mis mes neurones en mode de sécurité pour le weekend, je n’étais par conséquent pas d’une grande assistance.
Je suis très gênée. Je me revois un an avant dans la même situation, en pleine crise d’angoisse et ayant perdue tout mes moyens face à la panique, essayant tant bien que mal de rendre la monnaie à un client qui venait chercher du câble.
Au travers de cet infortuné serveur, j’ai un peu l’impression que c’est de moi que l’on se moque par procuration.
ma première boite gaie
La soirée ne saurait être complète sans une dernière virée en boite.
De ci-de là, des passantes me narguent sans le savoir avec le modèle de bottes plissées que j’ai cherchées partout. Grrrrr, Paris c’est décidemment particulier. Mince alors, ils ont même leur propre magasin American Apparel dans le Marais. C’est vraiment pas juste.
C’est ma première sortie en boite gai, ma première sortie en boite tout court il me semble d’ailleurs. Je suis râvie. Dans l’état d’euphorie dans lequel je suis, on me ferait visiter une usine de mortadelle que je serais aussi contente de toute façon. Chaque nouvelle inspiration que je peux prendre en fille est une bénédiction, après 32 ans d’apnée.
Finalement on ne reste pas très longtemps, à la recherche d’une ambiance différente et moins bondée.
On s’arrête dans un bar du Marais orné de peintures représentant des personnages aux ailes de papillons. Un lieu prédestiné.
Comme toute fifille qui se respecte, je veux mon ‘Mojito’. Pas de chance, ce sera un Tequilla Sunrise. Pas mauvais, mais le goût de l’alcool est un peu trop présent. Quitte à faire des expériences, j’accepte volontiers de gouter au cocktail de Sophie et David. Alors là par contre, ça picote carrément.
Juste le temps de démarrer une discussion métaphysique avec Jean Baptiste et il est déjà l’heure de rentrer.
A part un petit frisson dû à la différence de température, je ne peux pas dire que cette aventure alcoolisée m’ait mise la tête à l’envers.
le douzième coup de minuit
Retour à la voiture. Chaque pas sur le bitume semble me renvoyer à ce que je ressens et ce que je vis. C’est le bonheur. Je pourrai ainsi errer dans les rues du marais toute la nuit.
Bizarre, dans la voiture, j’ai l’impression de tenir moins de place en fille que quand je suis en civil. Je réalise que c’est bientôt fini, mais pas encore, il reste quelques cadeaux à ouvrir sous le sapin…
Il n’est pas loin de minuit. Encore sur un nuage, je m’attends à ce que la voiture se change en citrouille au douzième coup de minuit.
J’imagine que David n’aurait pas hésité une seconde à se transformer en souris, et Jean Bat notre cocher en cheval (tu sais ce qu’on raconte sur les chevaux Jean-Baptiste ^-^’). Mais, de Sophie ou de Violène, qui est la bonne fée dans l’histoire ? Probablement un peu les deux…
En revanche pas question une seule seconde de balancer une de mes bottes par la fenêtre pour coller à la légende. Elles sont bien trop confortables…
Le prince charmant pourra aller se rhabiller, moi de toute façon, ce sont les princesses qui m’intéressent.
les lendemains qui déchantent
Arrivée à l’hôtel ; oups, seulement deux lits cette fois. J’hésite à enlever mes habits, encore quelques secondes de plénitude. Pour faire durer le rêve, je décide de ne me débarbouiller la frimousse que le lendemain.
Réveil sur les chapeaux de roue. Démaquillage rapide avant le petit déjeuner pour ne pas effrayer le chaland. On finira plus tard.
David me vanne : « ah c’est toi, je me demandais ce que c’était que ce mec qui bouge comme une gonzesse… »
Ah, si seulement ça pouvait être vrai…
L’air est vraiment pourri ici. On ne respire que par une narine, l’autre étant continuellement bouchée par la pollution ou la clim.
Grosse fatigue générale…
Le musée
Et pour finir en beauté, visite du muséum d’histoire naturelle. Ca me renvoie aux jours heureux de la visite du musée Guimet avec mon père et de ma vocation ratée en biologie.
Rien à faire, je suis fatiguée et je ne percute plus. Les infos défilent sous mes yeux mais l’appareil cognitif reste en rade. Mieux vaut rester en mode fille et s’émerveiller devant toutes ces jolies bestioles. ^-^
Néanmoins, une question me travaille. Et si les trans étaient ou annonçaient d’une certaine manière la prochaine étape de l’évolution, celle d’une humanité qui aurait réussie à ne garder que les meilleurs aspects des deux genres, ou alors une humanité capable d’infléchir elle-même sa propre évolution, sa forme, son devenir. Moi qui flippe devant les Cyborgs, je préfère m’en tenir à la première proposition.
Retour sans histoire, entre deux siestes et consultation des photos prises par chacun(e), grignotage de petits gâteaux et blagues de trans.
all good things…
Je n’ai jamais su dire au revoir. A l’approche de chez moi je demande à Jean-Baptiste s’il peut me déposer. Je pars comme un voleur, comme d’habitude.
Je me dirige chez moi la tête encore pleine de rêves, et à deux doigts de me casser la figure sur mes heelys tant mes bagages me déséquilibrent. Arrivé à la maison j’ai un peu de mal à re rentrer dans cette vie, comme dans des vêtements qui auraient rétrécis.
Ma mère n’est pas encore rentrée. Je vais même avoir le temps de faire la deuxième moitié de ma journée de travail dominicale, de 20h à minuit.
La soirée est calme et je peux enfin prendre le temps de consulter les photos sur grand écran. Evidemment, j’ai envie de voir de quoi j’ai l’air.
Je suis malheureusement vite rattrapé(e ?) et frappé(e ?) de plein fouet par la réalité.
C’est clair, la lumière n’est pas ton amie…
Je fonds en larmes, et me demande comment tous le monde à pu se trainer ‘ça’ toute la journée sans se taper la honte.
Sophie à fait un boulot merveilleux sur moi. Mais on ne peux pas changer un 30 tonnes en Ferrari.
Le flash ne pardonne décidemment rien. Rien à faire, sur les photos, je ne vois qu’un travesti sans âge. J’ai l’impression d’avoir repris les 4 kg que j’avais perdus, ceux là même qui m’avaient permis d’envisager de mettre ma petite robe encore trop juste un mois et demi auparavant. Mes cheveux sont une catastrophe et je pose sur les photos comme si j’attendais un ‘client’.
Et je souris comme mon père…C’est en m’éloignant à ce point de son modèle que je lui ressemble finalement le plus.
C’est que je n’ai pas beaucoup l’habitude de sourire sur les photos. D’ailleurs, je trouve qu’on reconnaît souvent les trans à la gueule qu’il(le)s tirent sur les photos dans leur genre d’origine.
Là en plus, sur ces clichés ça ressemble à de la fierté. Je préfère encore quand je fais la gueule…
Mes vieux démons me reprennent, je me dis que même parmi les trans, certain(e)s ont dû se foutre de ma gueule.
Par contre j’assume totalement mes fringues, c’est le physique qui ne suit pas.
Il y a vraiment un décalage énorme entre ce à quoi je ressemble sur ces photos et ce que je ressentais à ce moment là. C’était magique.
Contrairement aux quelques 284 autres photos de personnes que j’ai prises, je ne dégage rien sur celles-ci, à part le n’importe quoi.
Du matériau à Photoshop, c’est tout ce que je vaux sur ces photos.
Je me dis que je suis une merde et qu’il est temps de tirer la chasse avant que ça commence à puer…
Merde, j’ai pas pris mes médocs ce matin… y aurait-il corrélation ? C’est quand même dur à encaisser.
Ce serait peut-être pas une mauvaise idée d’aller se coucher plutôt que de continuer à broyer du noir ?
Il y aura d’autres (il était une) fois. Oui, la prochaine fois ce sera mieux, j’en suis sûre.
épilogue
Il n’y a pas de fin à cette histoire. Elle se vit au présent. Pour en connaître la suite, il suffit de venir discuter avec moi, de faire ce premier pas que j’ai encore tant de mal à faire lors des permanences ou ailleurs…
Encore un grand merci à tous et à toutes pour ce Week-end inoubliable.
Karine