Je suis une transgenre mtf et je fais du parapente, activité personnifiée par Icare. Cela fait sans doute de moi un oiseau rare dans ce milieu, bien que j’aie déjà rencontré d’autres congénères dans le monde du vol libre.
Si les femmes représentent seulement 15 % de la population volante en France, on ne peut pas vraiment dire que les parapentistes soient machos. En effet, la tendance toute masculine à vouloir épater la galerie est ici fortement tempérée par l’instinct de survie. Car, bien que très rares, les accidents mortels existent et le risque de rester handicapé n’est pas nul non plus. Selon moi, un bon pilote est plutôt calme, capable de rester concentré plusieurs heures et d’analyser les conditions aérologiques en vol, reste lucide face aux situations de stress et connait ses limites. D’après ces critères, je correspondait plus ou moins à un bon pilote avant ma transition.
Depuis mon premier vol à l’age de 25 ans (j’en ai bientôt 40), le parapente a pris une place importante dans ma vie. En effet, depuis 15 ans, cette passion détermine où je vis et où je pars en voyage. Mais plus encore, l’aspect dangereux de ce sport a amené de grands changements dans ma vie. En effet, l’idée de pouvoir mourrir à chaque vol sans jamais avoir fait l’amour m’était devenue insupportable quand j’ai rencontré celle qui est désormais ma compagne, une parapentiste, bien sûr. Puis, quelques années plus tard, un accident de parapente m’a fait réfléchir sur les priorités que l’on doit avoir dans la vie et m’a poussé à entamer une transition.
Le parapente a aussi déterminé mes amis. La plupart de mes amis et connaissances adhèrent au même club de parapente que moi, et c’est lors d’une assemblée générale de celui-ci que j’ai pris le micro et fait mon coming out. Cela a très bien été accueilli. Après près d’une année d’interrogation pour eux à me voir prendre des libertés avec les codes sociaux, les choses devenaient claires, et je devenais Claire.
Je dois dire que l’acceptation et la capacité d’adaptation de mes amis m’ont très agréablement surprise. Je ne m’attendais pas à un changement si rapide. Quasiment du jour au lendemain, mes amis m’on fait la bise et m’ont appelé par mon nouveau prénom. Je profite de cette occasion pour les remercier. Certains me devançaient même, me signalant que je n’avais pas changé le prénom de mon adresse de courriel, me demandant une nouvelle photo pour le trombinoscope du club… Leur acceptation a été d’une grande aide pour moi, si mal sur les sites de vol, si mâle en fait… Je vais m’expliquer : je suppose que ce n’est pas évident d’appeler Claire quelqu’un qui a des traits masculins, s’habille dans une combinaison de vol masculine, et mesure 1.90 m. Quand en plus, on a connu cette personne pendant de longues années avec une barbe de 5 cm, cela demande une certaine capacité d’adaptation !
La pratique du parapente m’oblige temporairement à refréner ce besoin maladif d’afficher ma féminité. Sur un site de vol, pas de jupe ni de bijoux, encore moins de maquillage. Je pratique ce sport comme le ferait une femme, sauf que j’ai un corps d’homme, et si les choses se sont améliorés au cours de ma transition grâce à la chirurgie, je me trouvais au début dans une situation très inconfortable, obligée de gommer une grande partie des traces de féminité dont j’étais devenue dépendante. Heureusement, je pouvais compenser en portant des vêtements indubitablement féminins tout en étant adaptés au sport. Ainsi, le premier vêtement féminin que j’ai osé porter à la vue de tous était une fourrure polaire vert pomme et cintrée. Mais une fois le tout emballé dans une combinaison dont seule dépassait ma tête insensible aux hormones et privée d’ornements féminins, je me sentais très mal…
Une de mes amies paraspentiste se demandait si, avec le traitement hormonal, j’allais me mettre à voler « comme une fille ». Que je m’explique : si l’on raisonne statistiquement, on s’aperçoit que les motivations de vol ne sont pas les mêmes chez les hommes et chez les femmes. Chez les hommes, on parlera de kilomètres, d’altitude, de performance de matériel, de records, de compétition, de conditions aérologiques musclées, de la satisfaction d’avoir atteint son but. Chez les femmes, on parlera plutôt de la beauté des paysages, d’animaux sauvages, de cascades, de la tranquilité du vol, du plaisir de voler. Beaucoup de chiffres d’un côté, beaucoup d’émotions de l’autre. Toujours statistiquement, les femmes gardent de plus grandes marges de sécurité, ce qui se traduit par des vols plus sûrs mais souvent plus courts. De même, la compétition motive plus facilement les hommes que les femmes. Aussi, certaines femmes n’hésitent pas à dire d’une autre qui réussit en compétition, qu’elle vole « comme un mec ». Dans l’autre sens, un retraité qui connait la lenteur de son organisme à se régénérer, adoptera des marges de sécurité toutes féminines, mais dans ce cas-là, on ne dit pas qu’il vole « comme une fille » : un peu de respect, tout de même ! Bien sûr, tout ceci est presque caricatural tant les exceptions sont fréquentes, et la plupart du temps, on retrouve dans une personne les deux composantes masculines et féminines, l’une étant prépondérante.
Donc moi, dans tout ca ? Et bien, tout ce que je peux dire, c’est qu’avant mon THS, je volais plutôt comme un mec. Certes, j’ai toujours aimé voler avec les oiseaux et voir des animaux sauvages en pleine montagne. Ces rencontres sont des moments magiques. Et je n’ai jamais voulu faire de compétition. Mais je raisonnais avant tout en terme d’objectif, et mes marges de sécurité frisaient parfois l’inconscience. C’est ainsi que j’ai relié en vol deux villes en Sibérie en traversant seul un massif désertique, chose qui n’avait jamais été faite. J’ai ainsi été considéré comme un champion par des russes qui mettaient pourtant en doute ma virilité, à une époque où je m’efforcais de passer pour un mec.
Au début de ma transition, alors que je m’automédiquai avec des doses dignes d’une femme enceinte, j’ai fait un vol de plus de 100 km, le plus long que j’aie fait jusqu’à maintenant, et qui représente une distance respectable. J’en était d’autant plus fière que, parmi les dévoreurs de kilomètre, circulait alors l’expression « vol de taffiolle » pour désigner un vol sans prétention.
Par la suite, les effets hormonaux se sont fait sentir sous une forme indirecte : j’ai simultanément perdu du poids et de la force dans les bras. La perte de poids a changé le comportement de mon parapente et la perte de force a complètement modifié mes repères, si bien que mes sensations en vol n’étaient plus les mêmes : j’étais totalement perdue. Depuis, je vis au Mexique où les conditions de vol sont turbulentes. J’ai dù faire face à un incident de vol qui a bien entamé ma confiance. Depuis, je prends des marges de sécurité toutes féminines et j’ai très rapidement peur. Mon imagination s’emballe alors qu’avant je restai concentré. Comme j’en parlais à une copine, elle m’a répondu : « Bienvenue chez les filles ! ». Mais, puis-je mettre ma peur uniquement sur le compte du traitement hormonal ? Certainement pas. Un ami m’a dit qu’il avait lui-même été terrorisé en vol pendant de longs mois après un incident semblable au mien.
Il y quelques temps, je suis revenue en vacances en France. J’y ai retrouvé mes amis sur les sites de vol, et on a discuté. Au bout d’un moment, je me suis posée la question : qu’est-ce qui a changé ? Maintenant, j’ai un corps qui me plait mieux qu’avant, je m’exprime sans aucune restriction, c’est-à-dire d’une facon plutôt féminine. Mais d’un autre côté, est-ce qu’une femme aurait les mêmes discours que moi avec mes amis ? J’en doute. Mes sujets d’intérêt n’ont pas changé, je suis passionnée par les mêmes choses qu’avant, choses intéressant plutôt les hommes. Seule la forme du discours a changé, pas le fond.
Avec mes amis parapentistes francais, j’ai le sentiment d’une liberté totale, je suis moi, une trans. Avec mes amis parapentistes mexicains, je suis plus sur mes gardes, m’étant présentée comme une femme par peur de réactions transphobes. Je me rends compte que je suis victime de la même pression sociale qui me poussait à me censurer constamment avant ma transition. Sauf que maintenant, je dois prendre garde à cacher des aspects masculins qui pourraient ressurgir malencontreusement de mon ancienne vie. Finalement, je préfère être considérée comme une trans par des gens qui m’acceptent que comme une femme.
Et je ne peux pas parler de parapente sans évoquer la Coupe Icare. C’est la plus grande fête du vol libre au monde et elle a lieu chaque année en septembre à Saint Hilaire-du-Touvet, près de Grenoble. Je connais bien cet endroit puisque c’est le site de vol le plus près d’où j’habitais en France, et mon préféré. Je m’y sens chez moi, et c’est tout naturellement que ma copine et moi participons à cet évènement en tant que bénévole. La Coupe icare donne l’occasion de voir des exploits acrobatiques et de partager des moments féeriques comme les lâchers nocturnes de ballons brésiliens en papier. Mais le moment le plus populaire reste le concours de déguisement. Les groupes déguisés jouent de véritables scènettes avant de décoller. Comme la gent féminine est sous-représentée, il n’est pas rare que des hommes jouent des rôles féminins. Au fil des ans, j’ai assisté à une évolution des mentalités. S’il y a deux ans encore, un groupe d’hommes travestis avait présenté un spectacle grotesque qui m’avait humilié, cette année, les hommes travestis jouaient simplement un rôle de femme avec beaucoup de respect. Alors que je distribuais boissons et biscuits aux personnes déguisées avant leur présentation, j’avais presque envie de dire à certains sur le ton de la plaisanterie: »Fais attention, c’est comme ça que ça commence ! ».
Claire